vendredi 13 mai 2016

Orage



Le matin n’annonçait rien de bon. J'avais d'abord enfilé mes lunettes de soleil mais à mesure que je conduisais vers la côte où je travaillais ce jour-là, une brume épaisse s'était installée laissant difficilement apercevoir les nuages noirs qui s'amoncelaient au loin sur la mer. Un marin plus averti aurait déjà flairé l'orage, sans compter qu'à l'agence, Brigitte était de sale poil.
Moi je pensais que ça allait se lever. Je me trompais. Une pluie éparse avait ensuite eu raison de mon pique-nique du midi face à l'océan et l'après-midi me confirma qu'il y avait un peu d'électricité dans l'air.
Le soir, une fois de retour au bercail et alors que le ciel s'obscurcissait vraiment, je décidai malgré tout d'enfiler mes Nike estampillées « H2O Repel » et ma veste de pluie pour aller nager courir.
A peine avais-je mis le nez dehors que de grosses gouttes tièdes se mirent à tomber, ne laissant le sol sec que sous les arbres au feuillage dense où je décidai de m'abriter. La pluie redoubla d'intensité et après m'être demandé ce que je foutais là, je continuai ma route alors que le tonnerre commençait à gronder.
Je n'étais pas très rassuré car l'âge adulte n'avait pas vraiment atténué la trouille de l'orage que je traîne depuis l'enfance.

J'étais le seul couillon à patauger sur le chemin de halage à présent détrempé. Si la foudre venait à tomber dans les parages, j'étais la cible parfaite. Je m'imaginais touché en plein vol par une saloperie d'éclair, puis gisant électrisé dans la bouillasse, les chaussures encore fumantes... Cela me motivait pour avancer et c'est à belle allure que je passai fièrement sous le pont où s'étaient massés des promeneurs en sucre qui attendaient en vain l'accalmie. Par rapport à ces petites natures, j'éprouvai une certaine fierté à braver ainsi les éléments. Seuls les « sqwitch sqwitch » ponctuant chacune de mes foulées me ramenaient à une certaine humidité humilité. Mes chaussures soi-disant étanches avaient en effet pris l'eau depuis belle lurette !

J'arrivai en ville où les caniveaux s'étaient transformés en torrents, les rues en rivières. Les voitures projetaient des gerbes d'eau et les gouttières percées crachaient de puissants jets d'eau. Les bouches d’égout dégueulaient leur trop plein et l'Odet se marronnisait version fleuve Amazone. Pour naviguer plus sereinement au milieu des ces éléments, il me manquait juste une bouée car la mousson continuait son œuvre et les eaux montaient.
Derrière mes lunettes embuées, mes yeux clignaient de peur à chaque éclair puis soudain le tonnerre déchira l'air d'un craquement sinistre.
Les lumières bleues des gyrophares des pompiers débordés se reflétaient dans ces millions de gouttes. La cathédrale pointait courageusement ses deux flèches vers les cieux déchaînés et moi je filai comme une flèche humide sur le chemin du retour.
Nouveau coup de foudre ! Au café de l'épée, à l'abri d'une terrasse couverte, un couple échangeait ses numéros de téléphone.
Le déluge s'intensifia, annonçant sans doute la fin des hostilités, les grenouilles chantaient à tue tête pour fêter ces trombes d'eau. L'orage enfin s'éloignait.
Rincé, je regagnai mon chez moi sous le regard inquiet des filles, baignant dans le jus de ma veste Décathlon qui, en terme d'étanchéité humide, n'avait rien à envier au bon vieux Kway de ma jeunesse.
Car s'il est vrai que le temps passe et que l'eau coule sous les ponts, parfois en abondance, au fond rien ne change vraiment...
Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
Et moi de retourner bayer aux corneilles...






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