dimanche 27 décembre 2009

Le promeneur

J'étais devenu un vieil homme. Les vieux disent toujours aux plus jeunes qu'ils n'ont pas vu le temps passer. J'en étais là de ma vie. Mes enfants étaient déjà loin de leur enfance et je me rapprochais à grand pas de ma déchéance. A bien y  réfléchir, j'y avais déjà mis un pied...
Le matin, dès que je me sentais suffisamment en forme, je sortais prendre l'air. J'enfilais ma veste rouge élimée et je descendais doucement les escaliers de l'immeuble en serrant fort la rambarde. Je n'avais qu'à traverser deux rues pour me retrouver le long du canal. Les mains jointes dans le dos, j'arpentais silencieusement les quais piétonniers. Je repassais le film de ma vie. Parfois je restais bloqué sur un fait précis de mon histoire dont je n'arrivais pas à me défaire. Par exemple ce jour où  ils étaient venus m'annoncer la nouvelle pour Isabelle... Alors, mon regard accrochait rapidement le sol pavé et je me laissais guider mécaniquement, seul, perdu dans mes pensées, les épaules penchées un peu plus en avant.
Par jour de grand froid, de fines larmes s'étiraient lentement depuis le coin de mes yeux rougis.
Parfois aussi certaines anecdotes amusantes refaisaient surface mais mon visage restait impassible.

Photo David Grimbert Improbable Copyright ©
Quand mon souffle se faisait plus court, je faisais demi tour.
Ce matin-là, sur le chemin du retour, l'eau qui coulait à mes côtés avait des reflets presque bleus. Je levai la tête. Mon regard se posa en haut d'un arbre rachitique où restaient accrochées quelques feuilles jaunissantes et inondées de lumière. Elles m'arrachèrent un sourire.
Nous n'étions qu'à l'automne et il faisait encore bon.
Je replongeai dans mes rêveries et je décidai qu'une fois rentré chez moi il serait temps de réouvrir mes albums et de revoir nos souvenirs.

mardi 15 décembre 2009

Mon beau sapin... un triste conte de Noël

Il y a peu de temps encore je resplendissais au milieu de mes congénères. J'étais le plus grand, le plus vert et aussi le plus solide. J'avais grandit là, insouciant, la tête dans les nuages et les racines profondément ancrées dans ce sol accueillant. J'en avais bravé des tempêtes.
Et puis arriva ce jour gris et sans lumière. Ma cîme ployait sous le vent et ma ramure dansait la gigue de façon désordonnée. Je les vis arriver de loin avec leurs épaisses chemises rouges, leurs grosses bottes et leurs casquettes de trappeur. Ils tenaient à la main leur objet de torture dont je pouvais aperçevoir la longue lame. Ils s'arrêtèrent à mon pied. Ils ne parlaient pas beaucoup et je les voyais me tourner autour, prendre du recul, jaugeant de la sorte ma robustesse, ma taille et ma droiture.
Je cherchais à réagir mais j'en fus incapable. J'avais adopté l'attitude d'un résineux résigné...
Ils ne paraissaient nullement impressionnés et se mirent vite au travail. Le bruit strident de leur engin de mort retentit dans le silence environnant.
Je sentis aussitôt la douleur d'une profonde entaille à la base de mon large tronc. Tout se passa très vite. Du travail à la chaîne en somme... Soudain, je me sentis vaciller. J'essayais bien de rester debout encore un instant mais je perdis brusquement l'équilibre. Je basculais dans un grand craquement pour aller rebondir puis me coucher au milieu de mes camarades, spectateurs impuissants de cet abattage en règle. Moi qui hier encore touchait presque le ciel, j'étais là, étendu, embrassant la terre de tout mon corps, les bras en croix. Je faisais la planche... Mes branches furent ensuite découpées une à une et, ainsi privé de mes épines et de ma sève nourricière, je sentis mes veines se vider et un grand froid m'envahir. A présent, j'étais nu, droit comme un I, raide mort dans cette grande forêt qu'autrefois je dominais.

Puis on m'enchaîna, on me traîna dans la boue et un engin terrible m'attrapa sans ménagement, écorchant mon écorce. Mais cela faisait déjà longtemps que je ne sentais plus rien.

On m'emporta loin de mes racines pour un chemin semé d'embûches. On me découpa, je fus raboté, usiné, encollé, on me fit des trous et on m'éparpilla finalement dans différents colis.
Et ce qui devait arriver arriva. Après quelques péripéties, un vulgaire roi du forêt m'assembla façon arbre de salon. En fait, j'avais pris la forme d'une bibliothèque sans style. Je recueillais sur mes étagères une pléiade de livres, pauvres cousins d'infortune. Le traitement pâte à papier qu'ils avaient subi les faisait souffrir de mille maux. Pour la première fois je portais des feuilles, ce qui me posait un problème...  épineux.
Depuis quelques jours, dans le coin du séjour, trônait un petit sapin. Je n'avais pas imaginé que l'on puisse s'attaquer à de si petits confrères conifères. Il était arrivé ligoté dans un filet blanc et une fois libéré, il avait mis du temps à retrouver sa forme naturelle. Il était à présent affublé de tristes guirlandes multicolores. Cette mise en scène pitoyable me foutait les boules. Jour après jour il perdait de son éclat et son teint verdâtre attestait de sa lente agonie. Le sac plastique disposé à ses pieds pour recueillir son futur cadavre, ne serait pas une digne sépulture pour ce petit corps décharné.
Autour de nous la fête battait son plein. Moi, vissé à ce mur, j'assistais au spectacle et j'étouffais. Le feu dans la cheminée me faisait des œillades suicidaires. Je n'avais jamais été aussi triste. Cela faisait longtemps que ne croyais plus au Père Noël...

Pas d'happy-end en ce jour de la fin Sylvestre.

lundi 7 décembre 2009

Un jour de pluie

A peine avais-je mis le nez dehors, que je fus saisi par un froid humide. Je frissonnai. Une pluie fine tombait insidieusement. Je n'avais marché que quelques minutes et j'étais déjà trempé. Mon fidèle caban n'était plus tout à fait imperméable. J'étais parti rapidement de chez moi et j'avais malheureusement sous estimé les précipitations. Je pressais le pas.
Alors que j'allais rentrer encore un peu plus ma tête dans mes épaules, j'aperçus, de l'autre côté de la rue, une élégante silhouette féminine vêtue de noir, au dessus de laquelle dansait un grand parapluie rouge. La jeune femme marchait vite, elle courait presque, sautant les flaques avec légèreté. Elle s'engouffra dans la bouche de métro en dévalant les marches avec la souplesse d'une danseuse. Elle avait l'air belle, en tout cas elle m'intriguait. Pour l'instant et malgré ce dédale de couloirs, nos routes se suivaient.
La rame arrivait et nous pressâmes le pas pour ne pas rester à quai. Je la perdis du regard dans ce flux et ce reflux désordonné. Je m'adossai dans un coin. Je la cherchais du regard dans ce déprimant mélange humain. Je la localisai enfin. Elle était assise à l'autre bout du wagon sur un petit strapontin. Elle rassemblait ses longs cheveux bruns pour les attacher en queue de cheval. Je n'arrivais pas à apercevoir son visage.
Le métro commença sa remontée abandonnant la pénombre pour prendre l'air et la lumière du jour. Une respiration. Je regardais dehors, la tête dans les nuages. De grosses gouttes s'accumulaient sur la vitre. Elles glissaient, entraînées par la vitesse, formant de longues traînées humides. Dehors tout était gris et flou.
Un soubresaut me ramena à la réalité. Les portent s'ouvrirent. Mon inconnue n'était plus à sa place. Je me précipitais dehors, manquant de chuter sur le sol glissant.
Je vis juste le haut de son parapluie rouge disparaître dans les escaliers au bout du quai. Je courus pour la rattraper. Elle avait déjà traversé la rue et je me jetai sans réfléchir à sa poursuite. Un scooter venu de nulle part fit une belle embardée pour m'éviter. Je m'étais à peine arrêté et je n'entendis pas les noms d'oiseaux dont me gratifia le motard.
Enfin, mon regard retrouva la silhouette élancée. Je la suivais à distance tout en réfléchissant. Aurais-je le courage de l'aborder? Qu'allais-je trouver d'original à lui dire? Qu'allait-elle penser de moi? Qu'est ce qui m'avait pris, moi d'habitude si timide?
La pluie redoublait d'intensité.
Elle tourna à l'angle d'une rue et je la perdis une nouvelle fois des yeux. Je trottinais pour refaire mon retard et alors que je prenais mon virage avec précaution, je la vis face à moi. Elle m'attendait, immobile. Je m'arrêtais maladroitement. J'étais stupéfait et totalement pris au dépourvu. Elle était grande, son visage était fin et bien proportionné. Nullement impressionnée, elle me questionna un peu sèchement :
- Que me voulez vous?
Je ruisselais et j'étais essoufflé. Dans un élan de courage, venu de je ne sais où, je parvins à lui répondre :
- Vous m'avez fait peur! Mais vous tombez bien, je commençais à prendre l'eau. Puis-je abuser de votre abri?
Elle me regarda l'air amusé et me rétorqua sans détour :
- Arriverez-vous à me suivre?