vendredi 30 octobre 2009

Le rendez-vous (3/4)

J'hésitai à dévaler les escaliers pour essayer de rattraper le messager inconnu. J'allais m'élancer à sa poursuite quand je me souvins de l'état dans lequel je me trouvais. Un coup d'oeil dans le miroir de l'entrée me fit en effet apparaître un bien triste spectacle. Sous mes yeux fatigués, une pommette boursouflée ornait mon visage. L'ecchymose avait une drôle de couleur et témoignait du choc encaissé la veille lors de mon éviction musclée. Mon nez, égratigné par quelque surface abrasive, avait également dû saigner généreusement puisque ma chemise blanche était maculée de tâches rouge sombre. Mon pantalon de soirée était déchiré au genou gauche et moucheté d'éclaboussures douteuses. Pour couronner le tout, je ne sentais pas la rose et j'avais mal à un coude.
Aussi, décidai-je de rester sagement chez moi pour me remettre d'aplomb et soigner mes blessures.

Je me penchai donc pour ramasser l'enveloppe.
Elle était plutôt épaisse pour ne pas dire dodue. Je déchirai délicatement le papier kraft pour y découvrir un long foulard de soie noire qui diffusait la fragrance enivrante qui émoustillait mes sens depuis trop longtemps. J'y trouvais également un papier à lettre sur lequel un petit mot était inscrit. Une belle écriture féminine aux courbes déliées avait écrit le message suivant :
"Rendez-vous ce soir 21 heures, 3 place des Archers, 1er étage appartement de droite. Bandez-vous les yeux avec l'accessoire ci-joint puis frappez trois fois. Je serai là. 
Louise.
PS : N'oubliez pas la clé"
Je n'avais pas remarqué la présence d'une clé dans l'enveloppe que je m'empressais de retourner. Un objet métallique ricocha sur le sol. C'était une petite clé argentée dont le format m'était tout à fait inconnu.
J'étais totalement dérouté à l'idée que Louise puisse revenir à la surface de cette manière. Depuis notre unique rencontre, qui avait suffi à me tourner la tête, la belle m'avait toujours évité. Elle qui envoûtait mes nuits, venait mystérieusement jusqu'à moi pour m'attirer à nouveau dans ses filets.
Je me trouvais dans une situation inédite et pour le moins étrange. Bien qu'un peu inquiet, j'étais également impatient et curieux de me livrer à cet étrange petit jeu avec elle. Je voulais la  revoir et découvrir son mystère, quelqu'en soit le prix à payer.
Je me glissai sous la douche brûlante pour reprendre mes esprits et débarrasser mon corps des stigmates de la veille.
Puis je passai le reste de la journée à tourner en rond et à attendre que l'heure du rendez-vous approche enfin. La grande aiguille de l'horloge de la cuisine avait profité de ce long moment pour rivaliser de lenteur avec sa petite soeur. Pendant tout ce temps, j'avais pu m'imaginer toutes sortes de situations pour ce rendez-vous inespéré. A présent que le taxi m'emportait vers la destination indiquée, je priais en silence que seules les plus agréables d'entre elles se réalisent.
Le taxi me déposa devant un immeuble cossu. Le numéro 3 surmontait une imposante porte en bois qui arborait une belle couleur rouge sang. Mon coeur battait la chamade. Je me décidai à pousser la lourde porte cochère. Depuis le hall d'entrée, un magnifique escalier en colimaçon s'enroulait vers les étages supérieurs. Je commençai à monter les marches une à une, en prenant soin de réguler ma respiration déjà malmenée par le stress.
Le premier étage arriva vite et sans hésiter, je tournai à droite pour me trouver face à une porte d'appartement. Sans plus réfléchir, je fouillai ma poche pour en sortir le foulard de soie noire avec lequel je me bandai les yeux.
Je frappai les trois coups et j'attendis. Rien ne se passa. Je ne percevais aucun bruit. J'étais là, ridicule, planté comme un piquet devant cette porte inconnue, et ces secondes d'attente dans le noir complet m'étaient insupportables. J'avais fait une erreur de me rendre ici. Alors que j'allais libérer mes yeux de leur obscurité et rebrousser chemin, un déclic se fit entendre et un long grincement m'indiqua que la porte s'ouvrait lentement.
Un courant d'air frais balaya mon visage et parcourut mon échine avant de pénétrer jusqu'au plus profond de mes entrailles. Puis une main se posa fermement sur mon bras pour m'emporter à l'intérieur...

mardi 13 octobre 2009

L'enveloppe (2/4)

Je ne sais plus vraiment comment j'avais réussi à rejoindre mon refuge cette nuit là.
J'avais dû traîner ma carcasse meurtrie dans les rues froides de la ville endormie. Des passants attardés avaient sans doute croisé une silhouette fantomatique. J'avais certainement divagué en mode automatique, indigne, le regard vissé au trottoir, rasant les murs, perdant l'équilibre, enlaçant des lampadaires distraits, narguant le caniveau d'assez près jusqu'à embrasser goulûment quelques bouches d'égouts aguicheuses.
Comme par enchantement, je m'étais retrouvé devant la porte de mon appartement.
Contrairement à Louise, mon lit, lui, ne s'était pas dérobé quand il avait vu apparaître mon corps affaibli. Au moment où mes forces m'abandonnaient pour de bon, il m'avait délicatement recueilli. J'avais directement sombré dans les bras de Morphée, comme si l'édredon douillet avait absorbé le moindre de mes souvenirs.
Puis j'avais dormi d'un sommeil agité. J'avais eu chaud et les vêtement que je n'avais pas pris le temps de retirer, entravaient mes mouvements. Mes membres s'étaient empêtrés dans les tissus de ma literie. Mon estomac nauséeux avait maudit mes excès d'alcool. Régulièrement ma bouche desséchée avait réclamé de l'eau et ma tête avait supplié l'étau qui la comprimait de desserrer son étreinte.
Ma nuit fut jalonnée de rêves torturés dans lesquels Louise incarnait le personnage central. Elle faisait preuve à mon égard d'une éprouvante cruauté.

Je me souviens d'une scène où elle apparaissait devant moi, lascive, vêtue d'une tenue raffinée mais pour le moins suggestive. Je me tenais assis sur une chaise inconfortable au beau milieu d'un pièce dénudée elle aussi. Elle me tournait autour dans une sorte de danse envoûtante, voluptueuse et hypnotique. J'étais incapable de la lâcher des yeux tant elle était désirable. Elle semblait si proche et pourtant inaccessible. Alors que mon corps entier et mes mains se tendaient pour tenter d'effleurer son corps parfait, elle m'interdisait ce plaisir d'un violent coup de badine sur les avant bras. Je me recroquevillai de douleur. Elle me jaugeait alors d'un air sévère et dédaigneux avant de me tourner le dos et de disparaître dans son mystère, m'offrant en spectacle le délicieux balancement de ses hanches et la sublime courbe de ses fesses.
Plusieurs fois je m'étais réveillé en sursaut, les poings serrés, dégoulinant de sueur, assoiffé, avant de sombrer vers d'autres supplices frustrants que la belle m'infligeait.
Tard dans la matinée une envie pressante me tira de mes songes malsains. Je m'arrachai de mon lit et je me traînai jusqu'aux toilettes où je me soulageai abondamment.
Alors que j'engloutissais une demi bouteille d'eau fraîche pour étancher ma soif et avaler un Doliprane 1000 dans la cuisine, j'entendis du bruit derrière la porte d'entrée. Aussitôt le tintement de la sonnette carillonna dans le silence environnant.
Je restai immobile et silencieux, ne donnant aucun signe de vie. Je n'attendais personne.
Je portais toujours mes habits de la veille qui, comme moi, n'étaient plus d'une grande fraîcheur. Aussi hésitai-je à ouvrir ma porte. Je me décidai finalement à zieuter en douce le visiteur surprise par le judas. Alors que j'approchais mon visage de la porte, une odeur fétide m'agressa soudain les narines. Il me fallut quelques instants pour me rendre à l'évidence que mon haleine n'avait rien à envier à celle d'un cheval malade. Je retins donc mon souffle et j'écarquillai les yeux pour voir qui me rendait visite.
A mon grand étonnement, la lumière du palier éclairait un petit chien apeuré assis sur ses pattes arrières. Je me frottai les yeux pour me les remettre en face des trous et regardai à nouveau par l'œilleton. Le noir complet avait repris possession des lieux. Saloperie de minuterie!
Sans plus réfléchir je décidai d'ouvrir la porte. Le chien avait disparu.
Une enveloppe m'attendait sur le paillasson. Dans l'air flottait un doux parfum qui ne m'était pas inconnu...