“Fly me to the moon” chantait Sinatra dans l’auto-radio. Moi, en ce
lendemain de tempête, j’avais décidé d’aller
voir la mer en furie. J'aurais bien aimé m’envoler vers la
lune, mais la mer se trouve juste à côté de chez moi…
Je file vers l’océan. Dans le ciel gris et
torturé les oiseaux font du surplace en se laissant porter par le vent. Moi j’avance,
impatient, attiré par l’odeur du goémon, les embruns, la couleur du sable et le
rythme des vagues. La portière s’ouvre et l’air iodé remplit enfin mes poumons.
Je grimpe en haut de la dune où je manque de m’envoler surpris par la force
soudaine du vent. Avant, en haut de cette grande barrière de sable, se dressaient
fièrement plusieurs rangées de pins, mais ça c’était avant. Aujourd’hui c’est
le désert, un paysage lunaire où la mer a presque tout mangé. La dune hier si
ronde et douce est à présent coupée en deux en son sommet, comme guillotinée. J’avais
déjà remarqué qu’elle perdait chaque année du terrain. Là, elle s’arrête net et
bascule abruptement vers l’océan. Les racines des arbres évanouis pendouillent
dans le vide à la recherche d’un sol à jamais disparu sous les coups de boutoir,
évaporé, emporté par la houle… Devant moi la mer s’étire dans son immensité.
Elle est plutôt calme et d’un gris profond mais je devine sa force. Je la sens
dense, lourde, chargée de tout ce qu’elle a charrié. Au lendemain du festin, l’ogresse
digère, repue.
Demain, elle se fâchera à nouveau
et si le vent, la lune et le réchauffement climatique l’aident à avancer, elle poursuivra
son travail de sape. Elle pourra ainsi s’étendre à nouveau de tout son long
pour recouvrir les marécages et reprendre possession de son territoire.
Les étés qui viendront n’y
changeront rien, cette plage magnifique aura bientôt disparu et mes enfants et
les leurs iront se chauffer le cœur ailleurs.
Je rentre chez moi le vague à l’âme.
Dans le ciel le temps d’une éclaircie, j’aperçois cette lune inaccessible qui, sûre de son pouvoir d’attraction, me salue d’un mince croissant.