Je me laissai guider à l'intérieur de l'appartement où régnait toujours un calme inquiétant. Mon hôte ne disait pas un mot, je percevais juste sa respiration mesurée. J'étais dans un état second et je n'osai pas rompre ce lourd silence. Une épaisse moquette amortissait le bruit de nos pas, seul le froissement de nos vêtements était perceptible. La nonchalance avec laquelle je me laissais faire me surprenait. La main qui m'avait jusque là accompagné, se détacha délicatement de mon avant bras et soudain un bruit de pas fit craquer un plancher en bois. J'étais là, planté comme un piquet, ne sachant quoi faire de mes bras. Mon coeur tambourinait furieusement à mes oreilles. Une voix féminine qui m'était inconnue se fit enfin entendre :
- "Vous pouvez libérer vos yeux Simon".
Je détachai aussitôt le foulard aux délicieuses senteurs et je dus attendre que mon regard se fut habitué à la lumière ambiante pour découvrir la personne qui m'avait conduit jusqu'ici. Une belle femme brune vêtue de noir me faisait face. Elle était grande, plutôt mince, et un sourire amusé se dessinait sur ses lèvres. Son visage allongé et élégant me disait quelque chose mais bien qu'ayant quelques ressemblances avec Louise, je ne connaissais pas cette femme. La même allure élancée peut-être...
"Qui êtes-vous ? lui demandai-je la fixant droit dans les yeux.
- Mon nom est Louise, vous ne vous rappelez donc pas?" me répondit-elle soudain sérieuse.
Elle jouait la comédie à merveille.
"Je me souviens de Louise dans les moindres détails, et je ne crois pas que nous nous connaissions.
- Tiens donc, vous êtes perspicace cher ami! Remarquez, vous même, vous ne ressemblez que d'assez loin à la description que l'on m'a faite de vous... Qu'est-il arrivé à votre oeil?" me répondit-elle avec malice alors qu'elle s'allongeait pratiquement dans un petit canapé rose pâle.
Sur le mur derrière elle trônait un immense miroir dans lequel se reflétaient ma silhouette longiligne et mon visage amoché. Je n'étais pas très à mon avantage.
Je restais sans voix.
- "Asseyez-vous donc mon cher."
Je trouvai refuge dans un fauteuil club aux confortables rondeurs.
Nous nous trouvions dans un salon baroque où le fushia et le gris anthracite contrastaient fortement. De lourds rideaux occultaient les fenêtres et une lampe discrète ainsi que plusieurs bougies diffusaient une lumière tamisée.
"Pourquoi m'avez-vous fait venir jusqu'ici?
- Vous le saurez bien assez tôt Simon. Puis-je vous offrir à boire?
- Pas avant de m'avoir dit qui vous êtes et ce que je fais ici.
- Je m'appelle Elisa, je suis la soeur de Louise. Et vous savez aussi bien que moi ce que vous faites ici."
J'essayai tant bien que mal de conserver mon flegme pour ne pas trahir ma surprise.
Elle s'empara d'une carafe à Cognac sur une petite table basse à côté d'elle pour en remplir deux grands verres.
"Louise m'a dit que vous aimiez les alcools forts.
- Nous ne jouons pas à armes égales. Que vous a-t-elle dit d'autre à mon sujet?
- Elle m'a tout raconté, dans les moindres détails.
- C'est avec elle que j'avais rendez-vous ce soir. Où est-elle?
- Elle n'est pas ici. Elle m'a chargé de vous dire de vive voix qu'elle ne voulait plus jamais vous voir. Elle veut se protéger. C'est moi qui vous ai fait venir.
- Pourquoi tout ce mystère?
- Cette mission n'était pas très enthousiasmante. J'ai décidé d'en faire un moment amusant. me dit-elle en éclatant de rire.
- Je suis ravi de vous procurer un tel plaisir, mais j'ai peur de ne pas pouvoir le partager.
- La soirée ne fait que commencer Simon. Ne soyez pas déçu." répliqua-t-elle avant de poser sensuellement ses lèvres rieuses sur le rebord de son verre tout en me dévisageant d'un regard profond.
Le cognac réveillait mes sens et le charme subtil de cette étonnante inconnue faisait doucement son effet.
Je baissai la garde.
"Qu'attendez-vous de moi à présent?
- Avez-vous apporté la clé Simon?" dit-elle en décroisant lentement les jambes.
A cet instant précis, une voix sensuelle venant de derrière moi vint rompre le silence.
- "Bonsoir Simon."
Je me retournai aussitôt pour voir apparaître Louise, avançant vers moi de sa démarche féline, un large sourire illuminant son visage. Son corps parfait et sa poitrine généreuse étaient magnifiquement mis en valeur par une longue robe échancrée aux épaules et, devant elle ses mains étaient curieusement jointes par deux bracelets aux reflets argentés. Je n'en croyais pas mes yeux.
Je la suivai en la dévorant du regard et alors qu'elle me faisait face, je remarquai à peine qu'Elisa avait disparu.
- "Mon cher Simon, je crois bien que cette coquine d'Elisa vous a joué un vilain tour! Libérez moi et amusons nous, à moins que vous aimiez ce genre de jeu... Nous n'avons que trop attendu."